« Gérer ses photos numériques : trier, archiver, partager »
La participation de l’équipe de Fotodart à la conférence de la Maison Européenne de la Photographie m’a semblé évidente, tant ce jeune atelier est représentatif de la nouvelle génération des compagnons du numérique, comme ils s’intitulent eux-même. David Attal et Hervé Pain forment une équipe indissociable; ici Hervé nous parle de son beau métier de tireur-imprimeur d’images.
Culture et passion
En argentique, le noir total ou l’éclairage inactinique nous obligeait à un certain isolement avec l’artiste, à une concentration intense sur le travail car nous n’avions rien pour nous déranger dans notre tâche. Nous évitons ainsi le piège du numérique qui nous laisse plus facilement sujet à la dispersion (ne nous plonge plus dans le noir du labo). Le calme et la disponibilité d’esprit sont les premières choses importantes à considérer pour avoir une bonne qualité d’écoute et au final espérer un bon tirage.
La maîtrise technique ne saurait suffire dans un travail artisanal, l’écoute donc, l’expérience aussi, acquise chaque jour auprès des photographes et aussi quelques bonnes références, sont des aspects importants du métier de tireur. Je viens du tirage argentique et je ne saurais pas faire mon travail si je n’avais pas en moi cette culture du beau tirage argentique et comme modèle les grands spécialistes de chaque technique, Dufaut, Fresson et d’autres. Passionné également par les procédés encore plus anciens, c’est d’abord les supports mats, les papiers d’art qui m’ont fortement attiré vers les nouvelles techniques d’impression pigmentaire. Justement parce que ces papiers étaient utilisés et servaient de support aux premiers tirages de l’histoire : tirage sur papier salé, van dyke, cyanotype, tirage platine. On voit d’ailleurs des fabricants de papier, dont l’existence remonte à plusieurs siècles, gagner une nouvelle jeunesse avec ces nouveaux procédés, tel Fabriano, Hannemulhe et même Canson Arches, qui n avaient plus de lien avec la photo depuis l’ère moderne.
Il y à 6 ou 7 ans, la première fois que j’ai vu des tirages noir et blanc au pigment de charbon sur ces papiers mats, j’ai été subjugué par la beauté et la profondeur détaillée des noirs et l’absence total de reflet comme je l’avais été des années auparavant par les tirages barytés d’Ansel Adams ou d’Edward Weston, des années plus tôt.
Donc pas de rupture entre argentique et numérique, mais simplement une continuité et beaucoup de points communs dans l’approche et la réalisation du tirage. Ce qui compte, c’est que le savoir faire du tireur – un bon bagage technique, un œil très exercé et un peu d’idées -, un minimum de références aux grands maîtres, de culture personnelle, de l’expérience et de la passion, tout ceci soit au service de la créativité du photographe.
Je ressens toujours autant de plaisir lorsque je réalise un bon tirage d’une bonne image.
Réalisation des Tirages
1] La numérisation
C’est capter l’essence du négatif, pas d’interprétation à ce stade. C’est une sorte de deuxième développement, de deuxième vie pour le négatif qui devient numérique. Un bon scan ne doit pas être beau, il doit être mou et capter toute les infos du négatif, pas de noir et pas de blanc, que des zones détaillées. C’est comme un bon négatif trop contrasté trop clair ou trop dense, surdéveloppé ou sous développé, par exemple, il serait plus difficile à tirer.
Capter le grain également par une netteté irréprochable. Nos scanners utilisent les mêmes optiques Rodenstock qui équipent les meilleurs agrandisseurs actuels. Aussi précisément qu’avec un Scoponet sur le margeur de l’agrandisseur, nous pouvons saisir les grains différents de chaque film.
2] Développement des fichiers RAW
Sans rentrer dans le détail du développement de ces fichiers, ni faire la promotion d’un logiciel de « dérawtisation », c’est un peu pareil que la numérisation, même phase très importante, aussi importante que le développement du film où tous les paramètres liés à la qualité d’une image doivent être contrôlés avec précision parce que liés également à la prise de vue. Exposition, balance des blancs, netteté, correction d’aberration, finesse, qualité du grain, etc. Mais là encore, nous ne sommes pas au stade de l’interprétation, nous restons encore dans un aspect très technique du métier, l’important est d’obtenir un fichier propre. Tout l’intérêt est dans la suite, où le vrai travail d’auscultation, d’interprétation et de finalisation peut commencer dans Photoshop.
3] Le tirage
- Choisir les teintes justes
- Optimiser les contrastes et la densité, zone par zone, masque de contraste changement de grade.
- Maquiller pour souligner certaines lignes de force ou un détail, faire monter une zone. Tout se passe comme sous l’agrandisseur avec presque les mêmes outils. Densifier éclaircir comme avec des caches, ou les mains du « sorcier tireur », mais avec un très bon écran et une palette graphique.
Pas besoin d’utiliser des outils très compliqués pour réaliser des choses souvent évidente et importante pour le sens de l’image.
Des similitudes donc entre tirage argentique et numérique, mais une maîtrise et une précision bien plus grande. Le temps arrêté. Comme un peintre, on peut jouer avec une palette presque infinie de choix subtils.
Nouveau piège, la diversité des choix. Ne pas se perdre et ne pas oublier l’essentiel. Créer c’est faire des choix, créer c’est souvent abandonner une solution pour une autre. C’est plus difficile de trancher pour les photographes, car nous travaillons sur l’image finale et nous avons le résultat instantanément, contrairement à l’argentique où nous travaillons sur une image invisible par nature puisque latente. La grande puissance des nouveaux outils en fait aussi leur faiblesse, car l’important c’est de ne pas perdre le fil de l’image.
Une grande force des systèmes actuels est de pouvoir simuler une sortie sur papier avec une très grande précision à l’écran. Les choix faits à l’écran sont souvent les bons. Même si subsiste la phase de test sur papier, elle sert plutôt à comparer un rendu entre deux ou trois supports plutôt que pour déterminer les réglages principaux d’une image. Après un test, on est souvent bon ou pas très loin du premier coup, juste de petits ajustements devront être effectués.
Déterminer le papier qui met en valeur l’image, le choix du bon format est aussi très important. Le format, c’est Pinkhassov qui m’a appris et m’a sensibilisé à cela : chaque image a une taille idéale et attention aux modes, une image sera plus forte si elle est tirée dans le format qui lui convient. Voilà les enjeux de la phase de test.
La reproductibilité est encore un des gros avantages par rapport à l’argentique. Fini les collectionneurs acquéreurs déçus de ne pas retrouver dans le retirage que le photographe leur proposait l’exactitude de la sensation ressentit lors de l’exposition. Aujourd’hui, nous sommes capables de faire deux tirages parfaitement identiques à plusieurs années d’intervalle.
Deux mots sur la qualité, elle a atteint depuis peu, avec l’arrivée de nouveaux papiers alliés aux encres pigmentaires de dernières générations, un niveau indiscutablement aussi bon que n’importe quelle technique argentique. À mon avis, il n’y a plus de débat à avoir la dessus.
Seul le procédé Ilfochrome Cibachrome, et dans sa version brillante seulement, n’a pas d’égal à ce jour en tout numérique.
4] La finition
Pour la finition de certains tirages, nous effectuons une repique à l’encre sur des zones ou un pigment n’aurait pas adhéré correctement, encore un geste courant en argentique qui ne s’est pas encore totalement perdu.
Finalement le tirage numérique est une évolution du métier, et les générations de tireurs qui nous ont précédé et qui continuent encore pour certain, sont une source d’inspiration. La technique change, mais la collaboration entre le photographe et le tireur reste une équation indispensable à la réalisation d’une œuvre photographique.
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Mots-clefs : fine art, impression, jet d'encre