Comme dirait un célèbre homme de radio, ce n’est pas pour me vanter, mais hier, j’ai déjeuné avec trois belles dames du monde de la photographie.
Ces retrouvailles nous ont permis d’évoquer sans retenu, technique, économie et évolution de la photographie. Comprenez que tout y est passé, pour le meilleur comme pour le pire.
La première de ces dames est excellente photographe, capable de rapporter dans sa hotte numérique aussi bien de beaux portraits d’hommes et de femmes sur leurs lieux de travail, que de sublimes paysages industriels vus en grand large. Notre belle dame décroche de moins en moins de commandes. Elle vient d’investir dans un sublime boîtier capable de se travestir en caméra vidéo ; peut-être une nouvelle corde à son arc de chasseresse d’images. Elle est, dit-elle en ouvrant de grands yeux, « épatée » par une de ses clientes du monde de l’industrie, car elle vient de lui faire signer un contrat de cession de droit pour une durée illimitée.
Avec la deuxième dame, nous sommes de l’autre côté, celui du donneur d’ordres. La dame a autorité sur une photothèque d’entreprise ; une belle entreprise, avec comme il se doit une direction de la communication œuvrant pour la notoriété de son monde et l’efficience de ses collaborateurs. Deux agences spécialisées produisent plusieurs journaux internes et externes et cèdent plus ou moins de bon gré les reportages pour enrichir une photothèque aujourd’hui performante et représentative « de la marque, des services et des hommes ». La dame aux beaux yeux noirs cherche à améliorer constamment son service et s’appuie sur l’expertise d’un partenaire pour indexer les nouveaux reportages. C’est tant mieux car elle ne peut consacrer qu’une demie journée par semaine à cette activité. Récemment, sa hiérarchie a exprimé que c’était beaucoup…
La troisième dame est aussi à la tête d’une photothèque, mais dans un contexte de collectivité territoriale. Ici, on produit beaucoup de reportages, car l’entité a le vent en poupe. Un marché a été signé, ceux-ci sont donc confiés à une agence. Cette belle dame là est photographe et défend la photographie de commande. Elle dépense beaucoup d’énergie à partager et imposer ses connaissances en prise de vue, en indexation d’images et en respect du droit. Conscience et connaissance au service des autres. Un de ses combats quotidiens est d’imposer l’idée qu’un travail doit être rémunéré et crédité. Elle voit dans l’emploi des métadonnées une garantie d’identification et de respect des droits des photographes vis-à-vis des commanditaires, dur combat ; inconscience des premiers et insouciance des seconds.
Ce qui apparaît dans cet échange où la passion et la gaité fusent pourtant, c’est la difficulté à œuvrer à tous les échelons du métier; vendre un reportage, facturer la post-production, investir dans des outils performants onéreux et chronophages, faire respecter les droits d’auteurs, maintenir même une certaine sensibilité à l’efficacité de l’image élaborée ; notre métier et notre culture.
Un déjeuner avec sauts d’obstacles, passé à la vitesse de l’éclair. Evocation d’une réalité contemporaine, des photographes fragilisés par la crise et la prolifération des productions spontanées. Des gestionnaires de l’image passionnés heurtés par la logique de réduction des coûts. Des acteurs beaux dans leur talent mais meurtris à se frotter aux murs étroits de la rigueur.
Aucune loi ne pourra nous faire retrouver un modèle économique disparu.
Un grand gâchis, heureusement que le déjeuner était sympa.
Daniel Hennemand
v1.2
Mots-clefs : économie, entreprise, image, photographie