L’image numérique a initié un mouvement de transformation en profondeur de l’économie de la photographie en permettant au plus grand nombre une visibilité planétaire de leur production. Hier, le livre et la presse offraient aux photographes professionnels la reconnaissance de milliers de lecteurs et progressivement la notoriété. Désormais, la diffusion et les échanges entre des millions d’internautes donnent à chaque photographe amateur une popularité minimum quelque soit son talent et en dépit de tout statut de créateur. Tous sont vus, beaucoup sont remarqués, certain accèdent à la popularité et font commerce de leur production par l’entremise des agences photos décidées à s’ouvrir aux nouveaux auteurs. Cette évolution bouleverse le système économique de l’image, choque les professionnels qui ne sont pas prêts à affronter cette concurrence. Celle-ci remet en question la valeur même de la photographie de commande, puisque ce phénomène atteint jusqu’aux donneurs d’ordre et modifie leur comportement dans des domaines où la réflexion et la réalisation d’une image adaptée étaient hier encore de rigueur.
La dématérialisation de l’image a rapidement offert aux auteurs, quelque soit leur statut, la possibilité de véhiculer instantanément leur production photographique. Les voies d’échange offertes sont nombreuses. Les premiers destinataires sont nos « admirateurs » que nous abreuvions hier encore de nos images via la messagerie, mais aujourd’hui les nouveaux services favorisent ces échanges et augmentent les flux : les laboratoires photos en ligne, les fabricants d’album, et les sites communautaires de diffusion large comme Picasa ou Flickr ou fugace comme FaceBook ou Twitter, les microblogs.
Nous sommes passé d’une époque de la monstration restreinte à un large partage à géométrie variable théoriquement maîtrisé : en commençant par le « soi-même uniquement », puis vers la famille, les amis, l’ensemble des abonnés d’un site communautaire et enfin à la communauté entière du Web.
Le créateur d’images amateur est passé d’une action simple de gré à gré à une logique relationnelle beaucoup plus vaste. Ce dépassement des limites traditionnelles de l’action de partage modifie en profondeur son comportement et son statut en devenant éditeur.
Plusieurs facteurs favorisent cette mutation. Sur les sites communautaires, l’annotation autorisée des images publiées en est un. Chaque internaute peut exprimer ses sentiments à propos d’une image et apporter un commentaire qui sera lu par la communauté entière. Cette expression libre met insidieusement l’auteur en position d’attente car il va être jugé, souvent apprécié et rarement critiqué. Ce retour d’opinion valorisante transforme le simple créateur d’images en éditeur de « valeurs », il prend progressivement conscience de sa visibilité et de sa valeur. Cela va parfois modifier aussi le comportement en amont de la publication, la sélection d’images sera faite dans l’espoir d’obtenir un certain succès. Le créateur d’images évolue dorénavant dans un cycle de dialogue et de reconnaissance communautaire. Les entreprises du web ont provoqué ce phénomène de changement du statut de l’amateur en lui suggérant qu’il avait du talent.
L’étape naturelle suivante pour l’auteur est de monnayer sa production. Pour être à la hauteur de ces nouvelles espérances, l’amateur doit poursuivre sa quête, améliorer son équipement, acheter un nouvel appareil plus conforme à ses ambitions et à la mode, accroître sa production et améliorer sa visibilité en déposant de plus en plus de fichiers sur ces plates-formes quasiment gratuites.
Cette logique est renforcée par un second facteur, la possibilité de gérer ses droits au moyen de concepts juridiques simplifiés, les Creative Commons. Cela permet à l’auteur de se positionner face à l’exploitation potentielle de ses images par des tiers en communiquant de manière explicite ses conditions d’utilisation. En s’appropriant ce vocabulaire et en prenant position, le créateur revêt consciemment ou inconsciemment un statut officiel de photographe; nous venons de voir qu’il reconnaît une valeur à son travail mais en plus, il envisage son exploitation, quelle soit gratuite ou rémunérée.
Une nouvelle étape est franchie avec la sollicitation de ces auteurs ainsi « titularisés » par les agences photographiques. Quelles soient issues de l’ère numérique avec le développement de la vente d’images à la « tarification simplifiée » ou qu’elles viennent du modèle économique ancien, elles ouvrent progressivement leurs portes à ces nouveaux créateurs d’images. L’évolution depuis un an des interfaces de leurs sites confirme cette hypothèse.
Le cycle est-il achevé? Les constructeurs et les éditeurs ont suscité la surproduction et le partage de milliards d’images en animant ces échanges et en offrant aux « nouveaux photographes » des outils de vente jusqu’ici réservés aux professionnels. L’image conçue et produite par le professionnel est doublement concurrencée par ces amateurs et par les images à la « tarification simplifiée » qu’ils ont souvent cédé eux-mêmes. Cela me fait penser au comte de l’Apprenti sorcier de J.W von Goethe, Paul Dukas et Walt Disney réunis.
Que va-t-il ressortir de cette nouvelle économie de l’image ? La disparition du métier de photographe professionnel ou encore, la banalisation de la conception photographique ? Cette démocratisation enthousiaste semble déjà précipiter la communication visuelle dans une ère où l’image n’est que prétexte, accessoire d’ameublement et occupation esthétique à faible coût d’un espace de publication. Ce phénomène de l’image inappropriée et irréfléchie n’est pas nouveau, mais il est renforcé. Les agences d’illustration ressembleront aux boutiques de mercerie de mon enfance avec des rayonnages à l’infini contenant chacun de petites pièces de couleur, toutes plus belles les unes que les autres? Signe avant coureur, les moteurs de recherche vous proposent de rédiger votre requête en définissant textures et couleurs.
Le pire est que ce phénomène est irréversible et qu’il porte en lui de formidables bénéfices pour le plus grand nombre. Ce qui est nouveau, c’est l’influence fulgurante du monde amateur sur le monde professionnel, ce qui est grave, c’est le manque de lucidité des professionnels qui n’ont pas prévu cette révolution. On peut se demander si en fait, tout le monde n’a pas participé à cette appauvrissement.
Mots-clefs : amateur, dématérialisation, juridique, statut
Bonjour,
Cet article dévalorise le métier de photographe.
Il place l’ensemble de la profession au niveau le plus bas : seulement la pour remplir des cases colorées. Le mêtier subit une mutation technologique tant au niveau de la production qu’au niveau de la diffusion. Oui, tout le monde a compris depuis logtemps, mais, mis a part quelques démarches personnelles artistiques, la plupart des images produites servent la communication en général. Le marketing, la pub , exigent des images et des concepts visuels forts et réfléchis, des idées, un savoir faire non pas technologique, mais ce qui fait la qualité première d’un photographe, sa créativité.
Sur la diffusion. Un exemple : les images produites pour les banques d’images d’entreprise sont consommées rapidement : multiplication des intranet , plates formes de diffusion etc
Il faut toujours en produire de nouvelles !
Je deteste ce discours pleurnichard et dévalorisant, la profession n’a pas besoin de celà dans l’ambiance actuelle certes trés difficile, mais ou les commanditaires ont plus que jamais besoin de créativité et de qualité.
Ne réduisez pas le photographe à sa camera, son ordi et sa liaison internet, il y a ( en régle génerale ) un oeil et un cerveau derriere…
Les mauvais peintres du 19 eme siècle n’aimaient pas la photographie.
La peinture en est elle morte ?
Bonjour,
Plus que jamais, la survie économique des photographes professionnels passe par la création d’images originales. Alors qu’un photographe « d’illustration » pouvait, voici vingt ans, assurer ses revenus par un fond conséquent d’images banales prises au quatre coins du monde, il doit aujourd’hui produire des photos qui se distinguent de la masse.
Incorrigible optimiste, j’y vois l’occasion d’une amélioration de la qualité moyenne des images utilisées: on ne se satisfera plus du cliché sans personnalité, on recherchera davantage de créativité. Aux photographes professionnels de défendre l’originalité de leur vision!
Bonjour,
Je suis « amateur » photographe de paysages. (pardon de m’intituler ainsi) et votre article me scandalise, au moins pour certains des paragraphes. Je suis amateur et fier de l’être. je n’ai pas la gosse tête et je ne prétends pas vendre mes photos, devenir célèbre, ou avoir une quelconque reconnaissance. Pour cela il faut avoir le talent en plus. pour les pros aussi ! l’amateur est celui qui aime. (je ne dis pas que ce n’est pas le cas du pro) et comment faire pour partager cette passion ? Et je suis très satisfait qu’il existe des possibilités du genre Flickr. C’est un formidable moyen, non pas de diffusion, mais d’améliorations par les critiques des « confrères » Je n’ai jamais vu un éditeur ou directeur d’agence me contacter pour m’acheter une photo ! (mais je n’en serais pas mécontent, si la photo est bonne) Le photographe pro à des moyens pour se faire connaitre bien supérieur. alors ne vous plaignez pas ! Et d’ailleurs, comment en avez vous eu la vocation de la photographie ? En la pratiquant d’abord en amateur. et en vous faisant remarquer, pour devenir pro lorsque les opportunité se sont offertes. Ce n’est peut être pas votre cas, mais de la plupart des pros. Comme disent CAMBON Sylvain et Jean Cassagne, cessez de vous lamenter sur vos difficultés. Si vous voulez survivre, innovez et créer des oeuvres « remarquables » et originales.
certes, vous avez raison sur bien des points. C’est triste pour certains pro. par exemples les photographes de quartier ou les labos. Il y a des mutations dans tous les domaines et beaucoup d’autres que vous doivent s’adapter.
cordialement